Recensement des tableaux de bord StopCovid
(ou Anti-Covid dashboards) au Japon


Par Sophie Buhnik, pour le projet « Informations Covid-19 Japon »
Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise



 
Recensement_appCovid

Depuis mars 2020, plusieurs hackathons civiques1 unis par le slogan « Code for Japan » ont abouti à la création d’applications prenant la forme de tableaux de bord (ou dashboards) : ils ont pour objectif de tenir les résidents du Japon informés de l’évolution de l’épidémie de Covid-19 en se servant des données publiées par le ministère de la Santé et les collectivités locales. Dans le sillage des tableaux de bord nationaux qui suivent les caractéristiques et la distribution spatiale des individus testés positifs au virus SARS-CoV-2, ou le niveau d’engorgement des équipements hospitaliers, des applications départementales voire municipales couvrent désormais l’ensemble du territoire japonais. Nous en proposons ici un recensement.

Ces applications entretiennent de nombreux points communs. Elles partagent d’abord une volonté de contribuer à la lutte contre la pandémie, en fournissant des informations pratiques pour divers publics (résidents jeunes ou âgés, familles avec enfants, gérants d’entreprises, touristes ou résidents étrangers, personnes rapatriées, etc.). Pensées pour une consultation aisée sur les smartphones, leurs informations sont aussi régulièrement consultables via des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook ou l’outil de messagerie Line.

Ensuite, les origines de productions sont similaires : des programmeurs, à titre bénévole, reprennent le design de sites d’information déjà constitués, grâce aux codes sources librement déposés sur GitHub, et avec le soutien au moins symbolique des acteurs institutionnels en charge de la promotion de l’Open Data au Japon. En particulier, l’application anti-Covid du gouvernement métropolitain de Tokyo, par son antériorité2, a inspiré les « Anti-covid dashboards » créés pour des départements touchés plus tardivement. Cela contribue aussi au transfert de savoir-faire en génie informatique vers des territoires plus périphériques, où le nombre et la densité des experts en TIC est comparativement plus faible.


Figure 1. La page principale de l’application Saitama StopCovid (https://saitama.stopcovid19.jp)


Ces méthodes expliquent l’homogénéité visuelle des interfaces, et ce faisant, procurent un sentiment de cohésion territoriale malgré le caractère décentralisé des processus de création. La page principale de chaque application se divise systématiquement en deux parties. À gauche, une colonne de « commandes » configure les informations affichées sur le tableau à droite, et peut renvoyer vers des recommandations relatives à l’hygiène (comment se laver les mains, jeter son masque…), vers des explications des symptômes, ou vers des pages contenant les messages officiels des gouverneurs, ainsi que des informations adaptées à différentes catégories de population avec des coordonnées de services de consultation. À droite, le tableau s’ouvre sur les dernières dépêches ou annonces officielles nationales et locales, suivies de l’évolution journalière et cumulée de l’épidémie, grâce à des variables dont les plus récurrentes sont le nombre de personnes contaminées et/ou guéries, le nombre de tests effectués parmi les habitants, des données anonymisées sur l’âge, le sexe ou la commune de résidence des individus qui ont été testés positifs. Ces variables reposent sur les informations que fournissent des « fiches de santé » rédigées, numérotées puis publiées par les services municipaux ou départementaux à chaque fois qu’un cas d’individu est déclaré malade après test. Ces fiches sont en général compilées sur les sites des départements et des municipalités à la rubrique 新型コロナウイルス感染症患者の発生について (« à propos des personnes touchées par un nouveau type d’infection »). Leur remplissage harmonisé sert de base à la construction de fichiers statistiques qui rejoignent, selon les cas, les catalogues d’Open Data entretenus par les collectivités territoriales, les tableaux de bord se calant sur ces sources publiques.

Au-delà de ces traits communs, certaines applications proposent des fonctionnalités supplémentaires, souvent empruntées au premier site qui les a codées, puis ajustées aux mesures et besoins locaux. Ces déclinaisons relèvent en majorité de trois types : 1/ des cartes interactives et dynamiques indiquant la répartition géographique de l’épidémie, ou des outils de géolocalisation des magasins vendant des produits alimentaires ou d’hygiène (comme les masques) ; 2/ la mise en graphiques de variables plus spécifiques, en fonction des sources mises à disposition par les collectivités. Par exemple, les applications couvrant les régions plus urbanisées renseignent parfois sur l’évolution du trafic ferroviaire, d’autres sur l’état des infrastructures hospitalières ; 3/ Des traductions en plusieurs langues des principaux segments des applications (reposant sur des logiciels de traduction automatique3), et des boîtes de dialogue multilingues pour questions et réponses. On constate à cet égard que l’offre en langue étrangère n’est pas forcément l’apanage des départements les plus touristiques.

Enfin, plusieurs applications coexistent parfois à l’échelle d’une même région, en raison de leur nature « ascendante » (bottom up) : des codeurs bénévoles issus de la société civile ont pris l’initiative de créer une application sans savoir que d’autres habitants s’engageaient dans la même démarche. Dans certains cas, les développeurs ont pris l’initiative de fermer leur site afin d’éviter l’effet de doublon avec une application ayant reçu le blanc-seing des institutions ou gérée par des programmeurs plus expérimentés. Dans d’autres cas, des applications dites « non officielles » (非公式) persistent aux côtés d’applications labellisées par des agences gouvernementales, notamment lorsque les interfaces présentent une certaine complémentarité. Il arrive aussi que des applications dites non officielles soient les seules disponibles au niveau d’un département : cette appellation ne signifie donc pas nécessairement une moindre reconnaissance.

Ces applications sont bien sûr évolutives : des fonctions peuvent s’ajouter selon les compétences ou l’investissement des acteurs à l’origine de leur création (elles sont d’ailleurs notifiées aux abonnés via des messages sur Twitter ou Line). Se pose néanmoins la question, inhérente à ce genre d’outil créé dans une conjoncture d’urgence, du maintien après la pandémie grâce à l’investissement d’une communauté de bénévoles.


Figure 2. La page d’accueil de l’association Code for Toda, une ONG promouvant l’usage civil de la programmation dans la municipalité de Toda, département de Saitama (https://codefortoda.org/)

La photo d’accueil montre une session d’apprentissage des bases du code à des enfants de la ville. En-dessous, on peut lire que l’association a contribué au développement de l’application Saitama StopCovid (voir figure 1).


* Note sur la liste des indicateurs contenus dans chaque application : certaines variables simples figurent de manière quasi-systématique, en graphiques qui représentent leur évolution journalière (日別) ou cumulée (累計). Derrière un même titre ou une information de même type, cependant, les modes de calculs peuvent différer : c’est le cas de la décomposition de l’état de santé des individus testés, qui peut inclure les tests ayant obtenu un résultat négatif, ou uniquement les personnes positives. De même, la distinction entre 検査実施人数 (nombre d'individus testés) et 検査実施件数 (nombre de tests effectués) s’explique par le fait qu’un individu peut être testé plusieurs fois : il importe pour le comprendre de lire les notes accompagnant les graphiques, lorsqu’elles existent, sachant que celles-ci sont plus rarement traduites.

  1. Que l’on peut brièvement définir comme des rassemblements de professionnels en techniques d’information, experts d’un domaine opérationnel et usagers, se déroulant sur plusieurs jours, au cours desquelles on prototype des solutions numériques à une variété de problèmes sociaux identifiés. Voir K. Ermoshina, 2016.

  2. La région capitale, en tant que principal centre urbain ouvert aux flux de mobilité internationale, ayant été le premier foyer de la maladie. Voir https://stopcovid19.metro.tokyo.lg.jp/, ainsi que le lien vers la licence MIT créée par le gouvernement métropolitain de Tokyo pour favoriser la diffusion de son logiciel.

  3. Au fur et à mesure qu’ils sont employés, ces logiciels améliorent la qualité des traductions établies, en collectant et intégrant des traductions préexistantes ou grâce aux retours des usagers.